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……………Un intéressant spécimen d'homo insipiens,
……………le piquécanthrope de Roland Barthes !



…… Si l'on pouvait prendre au sérieux les affirmations de Roland Barthes, alors on devrait lui reconnaître d'importantes découvertes dans le domaine de la psychologie et plus généralement de la connaissance de l'homme.

…… Certes, il a trouvé beaucoup de ses idées, chez d'autres auteurs, notamment chez Racine. Mais personne ne les y avait jamais aperçues avant lui. C'est en effet dans le Sur Racine que l'on trouve les principaux apports de Roland Barthes en matière de psychologie. En effet les interprétations des tragédies de Racine qu'il nous propose sont essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, d'ordre psychologique. Dans la tragédie racinienne, Roland Barthes ne s'intéresse qu'à « l'homme racinien ». C'est pour le moins étrange de la part d'un homme qui, comme tous les tenants de la « nouvelle critique », reproche à la critique traditionnelle d'être essentiellement psychologisante ; lui qui sans cesse nous bassine avec le mot « structure », ne s'intéresse jamais à l'intrigue des tragédies. Le personnage racinien est d'abord un personnage qui est placé dans une situation tragique, enfermé dans le piège construit pour lui par le dramaturge. Mais Roland Barthes, lui, passe son temps à expliquer par le caractère des personnages ce qui s'explique par la situation dans laquelle ils se trouvent. Il ne cesse de « psychologiser » les situations. Et, à la différence de celles de la critique traditionnelle, pour laquelle il ne cesse d'afficher un mépris incommensurable, ses explications psychologiques sont parfaitement saugrenues.

…… Non seulement, en effet aucun personnage de Racine n'a jamais éprouvé les sentiments que Roland Barthes prête à « l'homme racinien », mais ces sentiments sont si bizarroïdes qu'aucun homme peut-être ne les a jamais éprouvés. C'est assurément le cas de celui que l'apparition du soleil inspirerait chaque matin à « l'homme racinien ». Pour lui, nous dit Barthes, « l'apparition quotidienne de l'astre est une blessure infligée au milieu naturel de la Nuit  [1] » et il justifie cette étonnante affirmation en s'appuyant sur deux citations données en note :


…… « Ô toi, Soleil, ô toi qui rends le jour au monde,

…… Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde ! (Théb. I, 1)


…… Ce n'est pas pour rien que Racine écrivait d'Uzès (en 1662) :

…… Et nous avons des nuits plus belles que vos jours. »


…… Ces deux citations que Roland Barthes croit décisives, le sont en effet. Elles constituent l'une et l'autre d'éclatants témoignages de la totale inintelligence des textes qui lui est habituelle. Pour faire dire à un texte ce qu'il ne dit pas du tout, voire tout le contraire de ce qu'il dit, il n'est rien de tel que de ne tenir aucun compte du contexte. C'est une des recettes préférées de Roland Barthes comme de tous les tenants de la « nouvelle critique » et plus généralement de tous ceux qui trafiquent les textes comme Freud ou René Girard.

…… Si tous les matins, après avoir ouvert ses volets avec d'infinies précautions, Jocaste s'était exclamée :


…… Ô toi, Soleil, ô toi qui rends le jour au monde,

…… Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde !


on pourrait assurément en conclure qu'elle a un problème avec l'astre du jour. Mais c'est la première fois qu'elle l'apostrophe ainsi et ce sera la dernière. Car ce n'est aucunement « l'apparition quotidienne de l'astre » qu'elle salue d'une manière si singulière. C'est bien au contraire le début d'une journée dont elle sait qu'elle ne sera hélas ! pas comme les autres. Elle sait, en effet, que cette journée va sceller le sort de ses deux fils, Étéocle et Polynice, qui vont s'entretuer. Roland Barthes a, semble-t-il, complètement oublié, à moins qu'il n'ait préféré ne pas s'en souvenir, les deux vers pourtant très célèbres qu'elle a prononcés un petit peu plus tôt :


…… Nous voici donc, hélas, à ce jour détestable

…… Dont la seule frayeur me rendait misérable  [2] .


…… Ces vers sont souvent cités par ceux qui cherchent à définir la tragédie racinienne [3] , car, chez Racine, la journée tragique est la journée ultime où arrive ce qui devait hélas ! arriver, où éclate une crise qui mûrissait depuis longtemps, où se produit la catastrophe que l'on sentait venir inexorablement.

…… Mais la seconde citation invoquée par Roland Barthes est peut-être encore plus incongrue. De nouveau il ignore ou veut ignorer le contexte. Il ne retient qu'un seul vers, le dernier, sans tenir compte des vers précédents sans lesquels pourtant on ne peut le comprendre :


…… Enfin, lorsque la nuit a déployé ses voiles,

…… La lune, au visage changeant,

…… Paraît sur un trône d'argent,

…… Et tient cercle avec les étoiles,

…… Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,

…… Et nous avons des nuits plus belles que vos jours [4] .


…… Quand on replace le vers dans son contexte,  on voit tout de suite qu'il signifie exactement le contraire de ce que Roland Barthes prétend lui faire signifier. Si les nuits d'Uzès sont plus belles que les jours de Paris, c'est parce que le ciel y est plus clair, c'est parce qu'il fait davantage jour la nuit à Uzès que le jour à Paris. Bien sûr nous sommes en pleine exagération baroque et Racine en est bien conscient. Toujours est-il que Roland Barthes ne pouvait guère choisir de citation plus inappropriée pour défendre son allégation. Gageons que, s'il avait été avocat, il aurait fait condamner tous ses clients même ceux qui étaient parfaitement innocents.

…… Le plus étonnant pourtant, ce n'est pas que Roland Barthes prête au personnage racinien un sentiment que celui-ci n'éprouve jamais, c'est qu'il lui prête un sentiment qu'aucun homme probablement n'a jamais éprouvé. C'est mon cas et c'est le cas de tous ceux de mes amis à qui j'ai posé la question. Mais, contrairement à Roland Barthes je ne refuse jamais de prendre en compte les faits, les propos ou les textes qui contredisent mes analyses. Un ami m'a dit avoir connu quelqu'un qui aurait eu l'habitude, quand il entendait prononcer le mot « aurore », de s'exclamer : « L'aurore ? Cette blessure infligée au milieu naturel de la nuit, quelle horreur ! ». Mais je ne retiendrai pas ce prétendu témoignage d'un ami qui avait certainement voulu me faire marcher. En revanche, je ne puis et ne veux ignorer que, selon une rumeur  assez largement répandue, le général de Gaulle aurait d'abord écrit  à la fin des Mémoires de guerre  : « Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, n'en pouvant plus d'affronter l'apparition quotidienne du soleil, cette blessure infligée au milieu naturel de la nuit ». C'est tante Yvonne qui aurait changé le texte à l'insu du général. Mais toutes les recherches pour essayer de savoir si cette rumeur était fondée, n'ont donné aucun résultat. Et les spécialistes sont finalement tous tombés d'accord pour conclure qu'elle avait été lancée par un plaisantin.

…… Quoi qu'il en soit, il semble bien difficile de trouver des textes ou des témoignages susceptibles de prouver que l'étrange sentiment que Roland Barthes prête si arbitrairement à l'homme racinien, ait jamais été partagé par qui que ce soit. Il est très facile, en revanche, d'en trouver qui expriment le sentiment opposé. Ils sont même innombrables. Comment ne pas penser tout d'abord à l'image homérique si célèbre de « l'aurore aux doigts de rose » ?  Les épithètes, les expressions, les images associées à l'aurore ont toujours une valeur très positive, comme la métaphore du « sourire de l'aurore » que l'on trouve chez nombre d'écrivains [5] . D'innombrables textes associent la naissance du jour à la joie, à l'espoir, au renouveau. Je me contenterai donc d'en citer deux, l'un de Verlaine :


…… Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,

…… Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien

…… Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore  [6]  ;


l'autre de Giraudoux :


…… Si tu meurs les oiseaux se tairont pour toujours,

…… Si tu es froide aucun soleil ne brûlera

…… Au matin la joie de l'aurore

…… Ne lavera plus mes yeux [7] .


…… Mais Roland Barthes en cite aussi et notamment, en lui donnant un titre emprunté à Giraudoux, « Cela s'appelle l'aurore », ce passage de La Sorcière de Michelet  : « Je me levais juste à six heures, quand le coup de canon de l'Arsenal donne le signal du travail. De six à sept, j'avais un moment admirable. La scintillation vive (oserai-je dire acérée ?) des étoiles faisait honte à la lune, et résistait à l'aube. Avant qu'elle parût, puis pendant le combat des deux lumières, la transparence prodigieuse de l'air permettait de voir et d'entendre à des distances incroyables. Je distinguais tout à deux lieues. Les moindres accidents des montagnes lointaines, arbre, rocher, maison, pli de terrain, tout se révélait dans la plus fine précision. J'avais des sens de plus, je me trouvais un autre être, dégagé, ailé, affranchi. Moment limpide, austère, si pur  [8] ». Dans La Préparation du roman, évoquant un texte de Kafka, il note : « toujours l'émerveillement du petit jour  [9] ».

…… Lui-même, qui a passé son enfance dans le sud-ouest, ne semble assurément pas avoir de problème avec le soleil  comme en témoignent ces extraits du Roland Barthes par Roland Barthes :

…… « Le délice de ces matinées à U. : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, le travail, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions  [10] ».

…… « Ce matin la boulangère me dit : il fait encore beau ! mais chaud trop longtemps ! (les gens d'ici trouvent toujours qu'il fait trop beau, trop chaud). J'ajoute : et la lumière est si belle ! [11]  »

…… «  Ce 6 août, à la campagne, c'est le matin d'un jour splendide : soleil, chauler, fleurs, silence, calme, rayonnement  [12] ».

…… Citons aussi un article sur « La lumière du Sud-Ouest », publié dans L'Humanité du 10 septembre 1977 qui commence ainsi : « Aujourd'hui, 17 juillet, il fait un temps splendide. Assis sur le banc clignant de l'œil par jeu, comme font les enfants, je vois une marguerite du jardin, toutes proportions bouleversées, s'aplatir sur la prairie d'en face, de l'autre côté de la route  [13]  ».

…… À l'évidence, Roland Barthes est un homme qui aime la soleil.  À l'évidence, il n'a jamais été traumatisé par le lever du jour ; il n'a jamais ressenti l'apparition quotidienne de l'astre comme une blessure infligée au milieu naturel de la nuit.  Ni lui ni personne n'ont jamais éprouvé un tel sentiment, sans parler des coqs.

…… Mais selon Roland Barthes, Racine ne nous aurait pas seulement révélé l'existence d'un sentiment totalement méconnu avant lui, il aurait également réussi à nous révéler enfin la véritable nature d'un très vieux sentiment bien mal compris jusque-là, la haine, qui serait, en réalité, une espèce de coup de foudre à l'envers : « La haine est ouvertement physique, elle est sentiment aigu de l'autre corps ; comme l'amour, elle naît de la vue, s'en nourrit et comme l'amour, elle produit une vague de joie. Racine a très bien donné la théorie de cette haine dans sa première pièce, La Thébaïde [14] ».

…… Racine aurait donc fait une grande découverte psychologique, à savoir que la haine serait essentiellement physique, charnelle, qu'elle naîtrait soudainement à la seule vue d'un corps qui immédiatement nous deviendrait insupportable. Roland Barthes s'appuie sur l'exemple de la haine que, dans La Thébaïde, éprouvent l'un pour l'autre Étéocle et Polynice : « Née d'une unité physique, c'est dans le corps même de l'adversaire que la haine va chercher sa force d'entretien. Condamnés par la nature et la décision de leur père à une coexistence infinie, les deux frères puisent dans cet enlacement le ferment précieux de leur conflit. Dès avant leur naissance, nous dit Racine, dans le ventre même de leur mère, déjà collés l'un à l'autre les deux frères combattaient. De cette scène originelle, leur vie n'est qu'une répétition monotone […]

…… « Le premier conflit racinien est donc déjà un corps à corps. C'est là, je crois, l'originalité de La Thébaïde  : non que deux frères se haïssent, thème hérité d'un folklore très ancien ; mais que cette haine soit la haine de deux corps, que le corps soit l'aliment souverain de la haine. Dès ce moment, l'impatience du héros racinien est physique, il lutte toujours contre une fascination commune à l'amour et à la haine : Éros est un puissance ambiguë.

…… « Racine a très bien compris que c'était en insistant sur la nature corporelle de cette haine qu'il rendait le mieux compte de sa gratuité […] Pour les deux frères, le trône n'est qu'un alibi : ils se haïssent absolument ; et ils le savent par cette émotion physique qui les saisit l'un en face de l'autre. Racine a très bien deviné cette vérité toute moderne que c'est finalement le corps d'autrui qui est son essence la plus pure ; c'est parce qu'elle est physique que la haine des deux frères est une haine d'essence. Organique, elle a toutes les fonctions d'un absolu : elle occupe, elle nourrit, console du malheur, donne de la joie, permane au-delà de la mort ; bref elle est une transcendance. Elle fait vivre en même temps qu'elle fait mourir, et c'est là son ambigüité très moderne [15] ».

…… Pour affirmer que « dans le ventre même de leur mère, déjà collés l'un à l'autre les deux frères combattaient », Roland Barthes peut hélas ! s'appuyer sur trois vers d'Étéocle :


…… Pendant qu'un même sein nous renfermait tous deux,

…… Dans les flancs de ma mère une haine intestine

…… De nos divisions lui marqua l'origine [16] .


…… Ces vers, que Roland Barthes trouve fascinants, sont généralement jugés affligeants, ou du moins regrettables, même par les raciniens les plus fervents. Ils ont été introduits tardivement dans l'édition de 1697. Raymond Picard les commente en ces termes : « Racine souligne le caractère prédestiné de la haine qui dévore les deux héros, et, avec des images de la dernière netteté (sans se soucier du mauvais goût, car il veut avant tout être clair) il insiste sur l'origine prénatale de ce sentiment fatal  [17] ». Raymond Picard se montre indulgent en ne parlant que de « mauvais goût », car ces vers sont franchement ridicules, mais les propos de Roland Barthes le sont beaucoup plus encore. Selon lui, en effet, la haine qu'éprouvent l'un pour l'autre Étéocle et Polynice est née spontanément et immédiatement de la seule vue du corps de l'autre. Comment donc a-t-elle pu naître dans le sein de Jocaste ? Car il est généralement admis que, dans le sein de leur mère, les enfants ne voient strictement rien. Et cela pour deux raisons majeures : la première est qu'aucun éclairage n'a été prévu pour eux ; la seconde est qu'ils gardent les yeux fermés pendant tout leur séjour dans le ventre maternel : ils ne les ouvriront qu'après leur naissance.

…… On me permettra d'apporter un témoignage personnel sur ce sujet, car il se trouve que j'ai un frère jumeau (nous sommes hétérozygotes). Or, après notre naissance, notre mère qui, bien sûr, ne pouvait avoir lu Roland Barthes, a jugé nécessaire de nous présenter l'un à l'autre. Et mon frère m'a dit alors : « Je ne te voyais pas du tout comme ça ». Ce à quoi je lui ai répondu : « Moi non plus ». Nous avions donc vécu pendant neuf mois dans l'intimité la plus étroite sans jamais nous voir. Il en fut très vraisemblablement de même pour Étéocle et Polynice.

…… La thèse de Roland Barthes se heurte de plus, en ce qui concerne Étéocle et Polynice, à une autre difficulté. Racine, en effet, pas plus que ne l'avait fait Sophocle, n'a pas cru bon de nous dire si les deux jumeaux étaient homozygotes ou hétérozygotes. Il y a, je le reconnais, plus de probabilités qu'ils aient été hétérozygotes puisque que ceux-ci sont nettement plus nombreux que les homozygotes. On ne peut pourtant écarter l'hypothèse qu'ils aient été homozygotes. Et, dans cette hypothèse, on a bien du mal à comprendre comment ils ont pu concevoir l'un et l'autre une haine immédiate et viscérale à la seule vue du corps de leur jumeau, puisque ce corps était exactement semblable au leur.

…… Cela dit, il est vrai que Racine a prêté à la haine d'Étéocle et de Polynice un caractère véritablement viscéral. Elle ne saurait s'expliquer seulement, ni même d'abord, par la rivalité politique. si l'on en croit Étéocle qui, à propos de la haine qui l'oppose à son frère, confie à Créon :


…… J'aurais même regret qu'il me quittât l'empire  :

…… Il faut, il faut qu'il fuie, et non qu'il se retire.

…… Je ne veux point, Créon, le haïr à moitié,

…… Et je crains son courroux moins que son amitié [18].


…… Aussi, lorsque Polynice lui proposera de l'affronter en combat singulier, il s'empressera d'accepter en disant  :


…… J'eusse accepté le trône avec moins de plaisir  [19].


…… Pour expliquer son amitié avec La Boétie, Montaigne ne trouve finalement pas d'autre solution que d'avoir recours à une formule qui ressemble fort à une dérobade : « parce que c'était lui ; parce que c'était moi [20]». Étéocle, qui dit à Créon en parlant de Polynice :


…… Ce n'est pas son orgueil, c'est lui seul que je hais [21].


aurait pu utiliser la même formule que Montaigne pour expliquer la haine que son frère et lui éprouvent l'un pour l'autre .

…… Il est donc vrai qu'Étéocle et Polynice « se haïssent absolument ». Mais Racine n'a jamais prétendu se servir du cas d' Étéocle et de Polynice pour faire la théorie de la haine, il n'a jamais prétendu nous donner grâce à eux une psychologie de la haine. Bien au contraire, loin de nous présenter leur cas comme exemplaire, Racine ne cesse de souligner avec force son caractère exceptionnel, profondément anormal, évidemment pathologique, pour ne pas dire tératologique. C'est Roland Barthes qui veut faire de cette haine le modèle de toutes les haines ; ce n'est pas Racine. S'il n'a pas craint de prêter à Étéocle des vers ridicules sur sa cohabitation avec son jumeau dans le sein de Jocaste, ce n'était évidemment pas parce qu'il pensait qu'ils étaient particulièrement propres à éclairer la genèse de la haine. Il a voulu, au contraire, souligner le caractère inexplicable de la haine des deux frères et nous faire comprendre qu'elle échappait à l'ordre humain. Elle est l'œuvre des dieux qui s'acharnent contre la famille d'Œdipe et dont Jocaste ne cesse de dénoncer l'injustice et la cruauté, comme le devine Étéocle :


…… On dirait que le ciel, par un arrêt funeste,

…… Voulut de nos parents punir ainsi l'inceste,

…… Et que dans notre sang il voulut mettre au jour

…… Tout ce qu'ont de plus noir et la haine et l'amour [22].


…… Raymond Picard compare son cas à celui de Phèdre  : « La haine d'Étéocle et, de même, l'amour de Phèdre, ont quelque chose de sacré et de surnaturel  : ils sont l'œuvre des dieux acharnés à punir ». Et il ajoute : « Mais la vraisemblance psychologique n'y perd rien  : Étéocle, comme Oreste ou Phèdre, divinise sa passion en s'y livrant [23]». Il est, en effet, assez normal que le fils d'Œdipe soit porté à rendre les dieux responsables de sa haine.  Cela dit, cette haine pose un grave problème de vraisemblance psychologique qui ne se pose ni pour Oreste ni pour Phèdre. L'idée qu'une passion puisse être envoyée par les dieux est beaucoup plus facile à admettre dans le cas de l'amour que dans le cas de la haine. Car le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Tout le monde admet que l'amour peut naître soudainement d'une manière qui semble incompréhensible. Non seulement, il n'est pas toujours nécessaire d'avoir de bonnes raisons pour tomber amoureux, mais cela peut arriver parfois alors même que l'on aurait, comme Ériphile par exemple, de bonnes raisons au contraire de ne pas le devenir. C'est ce caractère inexplicable, fatal qui fait que l'on peut être tenté de l'attribuer aux dieux. Si Phèdre peut croire que son amour est l'œuvre des dieux, c'est parce qu'elle est tombée amoureuse de celui qu'elle ne pouvait pas, qu'elle ne devait pas aimer.

…… Mais il en est tout autrement pour la haine. Quand on éprouve de la haine pour quelqu'un, c'est que l'on a de bonnes raisons pour cela ou du moins que l'on pense en avoir. On n'a par conséquent aucunement lieu de croire que cette haine nous vient des dieux. Ce n'est évidemment pas par hasard que beaucoup de contes et de légendes font intervenir des philtres d'amour, alors que l'on n'y rencontre jamais de philtre de haine. Contrairement à celle de l'amour, la naissance de la haine n'est jamais mystérieuse. Que l'on croie ou que l'on ne croie pas aux dieux, que l'on croie ou que l'on ne croie pas à la magie, le coup de foudre est une réalité. En revanche, cette haine gratuite, immotivée, totalement pure qui oppose Étéocle et Polynice depuis leur naissance, et avant même leur naissance est tellement irréelle que, pour pouvoir y croire, il faudrait effectivement pouvoir croire à l'intervention des dieux. C'est là sans doute la principale faiblesse de La Thébaïde. Et c'est naturellement ce que Roland Barthes y admire le plus. Son instinct ne le trompe jamais  : ou bien il admire ce que l'auteur n'a pas dit et qu'il a eu bien raison de ne pas dire ; ou bien, beaucoup plus rarement, il admire ce que l'auteur a vraiment dit, mais qu'il aurait mieux fait de ne pas dire.

…… D'ailleurs Racine s'en est sans doute rendu compte. Toujours est-il qu'il n'a plus jamais commis l'erreur qu'il avait commise dans sa première tragédie. Alors que Roland Barthes le félicite sottement d'avoir « très bien deviné [une] vérité toute moderne », il a compris, lui, qu'il avait eu tort de suivre trop servilement une fable archaïque. Lucien Goldman, lui-même qui, en matière d'inintelligence des textes, égale bien Roland Barthes, faute de pouvoir le dépasser, voit dans la haine gratuite d'Étéocle et de Polynice une des raisons qui font que « cette pièce n'atteint pas, et de loin, à la valeur littéraire des tragédies ultérieures », et il ajoute  : « Et c'est ici, entre autres [sic], que nous ne saurions suivre Roland Barthes, qui voit dans cette haine immotivée, pour ainsi dire viscérale, un caractère général de "l'homme racinien" alors que nous ne la retrouvons dans aucune des pièces ultérieures  [24]».

…… Dans la suite du Sur Racine, Roland Barthes semble avoir complètement oublié la théorie de la haine physique qu'il nous avait pourtant présentée comme une des grandes découvertes de Racine. On ne la voit réapparaître qu'avec l'analyse d'Esther, pour expliquer la haine que Mardochée inspire à Aman. « Sa haine pour Mardochée, écrit-il, n'a pas pour mobile une rivalité de race ou de fonction (comme ce sera le cas entre Mathan et Joad)  : il hait d'une façon toute pure  [25]». Mais ce n'est pas la haine d'Aman pour Mardochée qui est gratuite, c'est l'affirmation de Roland Barthes. Sa haine, Aman l'explique, en effet, fort bien à Hydaspe  :


…… L'insolent devant moi ne se courba jamais.

…… En vain de la faveur du plus grand des monarques

…… Tout révère à genoux les glorieuses marques.

…… Lorsque d'un saint respect tous les Persans touchés

…… N'osent lever leurs fronts à la terre attachés,

…… Lui, fièrement assis, et la tête immobile,

…… Traite tous ces honneurs d'impiété servile,

…… Présente à mes regards un front séditieux,

…… Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux.

…… Du palais cependant il assiège la porte  :

…… À quelque heure que j'entre, Hydaspe, ou que je sorte,

…… Son visage odieux m'afflige et me poursuit [26].


…… On se dit que Roland Barthes a dû oublier ces vers, mais il écrit cinq lignes plus loin : « En fait, Aman ne veut qu'une chose : être reconnu. Dans cette Cour où la gloire laisse toujours apparaître quelque ressort économique, Aman n'a qu'un mobile  : la volupté de l'honneur. Un seul être le refuse : Mardochée. Mardochée est un regard immobile qui dit non, et il y a entre lui et Aman le même rapport qu'entre Dieu et la créature à qui il refuse sa grâce : c'est cette frustration même qui enchaîne Aman à Mardochée  : comme les héros de l'ancienne tragédie profane, il refuse de fuir, de quitter la tragédie  [27]». Ainsi alors qu'il vient d'affirmer qu'Aman haïssait Mardochée « d'une façon toute pure », Roland Barthes nous explique sentencieusement qu'il avait une très bonne, une très forte raison de le haïr. Mais, bien sûr, il ne se rend pas compte de l'incohérence de ses propos. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas (et c'eût été, assurément, bien surprenant) la vue du corps de Mardochée qui a fait naître la haine d'Aman ; c'est la vue d'un corps qui ne se courbait pas devant lui. Il aurait pu se dire que Mardochée avait des problèmes avec son dos (il n'est plus jeune) et qu'il avait peur de ne pas pouvoir se redresser. Mais Aman sait très bien que ce n'est pas le corps de Mardochée qui refuse de se courber devant lui. Il sait très bien que c'est l'âme qui habite ce corps qui refuse de se courber. Et c'est pour cette âme qui refuse de se courber devant lui, c'est pour cet esprit qui le juge qu'Aman éprouve une haine inexpiable. 

…… Mais laissons de côté l'homme racinien. Car la thèse de Roland Barthes a, bien sûr, une portée tout à fait générale. Ses intuitions ont toujours une valeur universelle. Selon lui, la haine serait toujours une « haine d'essence », elle aurait toujours pour objet l'essence d'autrui, c'est-à-dire son corps, puisque c'est « le corps d'autrui qui est son essence la plus pure ». Roland Barthes n'a peut-être, n'a sans doute jamais éprouvé de haine pour personne.  On ne saurait le lui reprocher. Mais il est totalement incapable de se mettre à la place de ceux qui ont eu l'occasion, dont ils se seraient généralement bien passés, d'éprouver ce sentiment. Je pense par exemple au père du petit Luc Taron, la victime de « l'étrangleur », Lucien Léger. Il avait juré à celui-ci qu'il le tuerait si un jour il sortait de prison. Il n'a pas pu le faire parce qu'il est lui-même mort avant et c'est bien regrettable. La haine profonde, la haine inexpiable qu'il éprouvait pour Lucien léger était bien compréhensible et mille fois légitime. Elle l'aurait été beaucoup moins assurément, si elle avait été une « haine physique ». Mais le corps de Lucien léger n'avait évidement aucune part dans cette haine. Il le haïssait parce qu'il avait étranglé son fils et s'en était vanté dans 56 lettres anonymes signées « l'étrangleur » envoyées à la presse, à la police et à lui-même.

…… Pour ma part je n'aurais sans doute jamais éprouvé de haine pour personne si je n'étais né en 1933 et n'avais été élevé dans la haine des «  Boches » qui avaient tué mon grand-père paternel, le capitaine Victor Pommier, le 14 août 1914, le frère cadet de mon père, Jean Pommier, mort en 1940 à Dunkerque, le frère aîné de ma mère, Louis Mesny, membre du réseau Ajax, déporté et abattu en avril 1945 d'une rafale de mitraillette, et mon grand-père maternel, le général Mesny, exécuté, bien que prisonnier de guerre, le 19 janvier 1945 sur l'ordre d'Hitler. Et, bien entendu, je les haïssais aussi à cause de tous les autres crimes, innombrables et monstrueux, qu'ils ont commis en si peu de temps. Et cette haine, je la sens revivre chaque fois que je repense à ces années et à ces événements. Et elle n'a évidemment jamais rien eu de physique.

…… Si la haine était un coup de foudre à l'envers, si elle naissait à la seule vue d'un corps, assurément cela se saurait. Cette haine physique, Roland Barthes lui-même ne l'a certainement jamais éprouvée, il n'a jamais connu personne qui l'ait éprouvée, il n'a jamais entendu parler de quelqu'un qui l'ait éprouvée, il ne l'a jamais rencontrée au cours de ses lectures, car il n'aurait pas manqué alors de nous le dire. Et, sur ce point, je suis comme lui. Bien sûr, la haine peut être aussi « physique ». Mais elle ne l'est jamais que secondairement, qu'accessoirement. Quand on déteste quelqu'un, on finit par ne plus pouvoir le voir en peinture.  Un corps peut susciter un certain malaise, voire inspirer du dégoût, de la répulsion, mais certainement pas de la haine. Et l'on peut éprouver de l'amitié, voire une profonde amitié, pour des gens qui ont un physique ingrat, voire rebutant.

…… Si Roland Barthes avait raison, la haine coup de foudre devrait donner lieu à des manifestations aussi claires que l'amour coup de foudre. Tous les jours des hommes se mettent à suivre dans la rue des femmes inconnues dont la vue a aussitôt fait naître en eux le désir  de les posséder. Je n'ai jamais entendu dire qu'un homme, tranquillement en train de siroter un breuvage à la terrasse d'un café, s'était levé brusquement en voyant passer un inconnu, saisi d'un désir aussi soudain qu'irrépressible de lui casser la figure. Comment ne pas se dire enfin que, si « la haine physique » était une réalité, il y a une discipline qui devrait nous en apporter d'innombrables témoignages : la criminologie ? Car la haine physique devrait engendrer de continuelles violences et être à l'origine de beaucoup de meurtres et tous les ouvrages de criminologie devraient leur consacrer un long chapitre. Or ce n'est le cas d'aucun d'eux, que je sache (à vrai dire, je n'en sais rien, mais cela ne m'empêche pas d'en être sûr). Si le crime passionnel est vieux comme le monde, le crime provoqué par la « haine physique » semble être jusqu'ici totalement inconnu. Les crimes sadiques ne sauraient entrer dans cette catégorie, puisque le sadisme est, au contraire une manifestation perverse du désir. À ma connaissance, on n'a encore jamais vu un avocat défendre un client accusé de meurtre en soutenant qu'il avait tué sous l'emprise d'une « haine physique » irrésistible. En tout cas, si un avocat, grand admirateur de Roland Barthes, adoptait un jour cette stratégie et réussissait jour à convaincre les jurés, son client n'éviterait la prison que pour se retrouver en asile psychiatrique.

…… Pour conclure sur ce point, je me permettrai une dernière remarque. Puisque Roland Barthes croit avoir découvert que le corps jouait dans la haine le même rôle que dans l'amour,  puisqu'il est persuadé que la « haine est « physique », qu'elle est « organique », il aurait dû nous donner  quelques informations sur la physiologie de la haine. Faut-il penser qu'elle aussi est commandée par des hormones ? Faut-il penser qu'à côté de la testostérone qui stimule le désir sexuel masculin, il existe aussi une autre hormone, la « détestostérone », responsable des pulsions de haine ? Si c'est le cas, peut-on espérer que, de même que l'on a trouvé des molécules capables de faire baisser considérablement le taux de testostérone, molécules très utiles dans la lutte contre la cancer, il pourrait exister aussi des molécules capables d'avoir le même effet sur le taux de détestotérone ? Il serait temps que les scientifiques travaillent sur ce sujet. Car, on le devine, de telles recherches pourraient avoir de grandes et merveilleuses conséquences et permettre à l'humanité de franchir un pas aussi gigantesque qu'inespéré, en permettant enfin d'instaurer sur la terre cette paix universelle dont les hommes ont toujours rêvé.

…… Si Roland Barthes a découvert grâce à Racine le véritable nature de la haine, il a aussi découvert grâce au même Racine que le sadisme était beaucoup plus répandu qu'on ne le pense généralement et qu'il pouvait prendre des formes tout à fait inattendues. Selon lui, en effet, la violence et le sadisme seraient partout dans la tragédie racinienne, même chez les personnages apparemment les plus doux et les plus timides. Ce n'est pas seulement faire pleurer qui, selon Roland Barthes, relève d'une conduite sadique, mais pleurer, mais s'évanouir, ou mais soupirer, ou seulement rougir : « car chez Racine, le désordre charnel est toujours d'une certaine manière chantage, tentative d'apitoiement (parfois poussée jusqu'à la provocation sadique). Telle est la fonction implicite de tous les troubles physiques, si abondamment notés par Racine  : la rougeur, la pâleur, la succession brusque de l'une et de l'autre, les soupirs, les pleurs enfin, dont on sait le pouvoir érotique  : il s'agit toujours d'une réalité ambiguë, à la fois expression et acte, refuge et chantage  : bref le désordre racinien est essentiellement un signe, c'est-à-dire un signal et une commination [28]».

…… Comme à son habitude Roland Barthes fait fi de toute logique. Sade est un de ses auteurs fétiches et il écrit pour des lecteurs qui le portent aux nues.  Il croit donc ne pas pouvoir se dispenser de parler du « pouvoir érotique » des pleurs Mais il ne se rend pas compte que ce n'est pas le meilleur moyen de nous convaincre de leur fonction sadique. Quand un sadique fait pleurer une ses victimes et se délecte de ses pleurs, on a du mal à imaginer que cette victime puisse elle-même être taxée de sadisme parce qu'elle pleure. Aussi bien Roland Barthes a-t-il dû s'abstenir d'invoquer les pleurs les plus fameux sans doute du théâtre de Racine, ceux de Junie lorsque Néron la fait enlever. Il était, en effet, très difficile de prétendre que ces pleurs constituaient une manifestation de sadisme à l'égard de Néron, puisque, outre que Junie ne savait pas que Néron la voyait, celui-ci dit à Narcisse avoir pris plaisir à la voir pleurer ;


…… J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler [29].


Le sadisme aurait consisté, au contraire, si Junie avait su que Néron la voyait, à se retenir de pleurer.

…… Dans les Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes revient sur le sadisme des pleurs et nous explique qu'il y a des « modes voisins mais différents de pleurer, parce que, si les pleurs sont toujours un forme de chantage, ils s'exercent sur des destinataires différents : « Quel est ce "moi" qui a "les larmes aux yeux" ? Quel est cet autre qui, telle journée, fut "au bord des larmes" ? Qui suis-je, moi qui pleure "toutes les larmes de mon corps" ? ou verse à mon réveil "un torrent de larmes" ? Si j'ai tant de manières de pleurer, c'est peut-être que lorsque je pleure, je m'adresse toujours à quelqu'un et que le destinataire de mes larmes n'est pas toujours le même : j'adapte mes modes de pleurer au type de chantage que, par mes larmes, j'entends exercer autour de moi  [30]».

…… La démarche de Roland Barthes est toujours la même. Il prend résolument le contrepied du sens commun. Pour celui-ci, quelqu'un qui pleure est d'ordinaire quelqu'un qui souffre ; pour Roland Barthes, quelqu'un qui pleure est généralement quelqu'un qui veut faire souffrir. Roland Barthes dit que, lorsque l'on pleure, l'on « [s]'adresse toujours à quelqu'un ». Les vrais pleurs, au contraire, n'ont, le plus souvent pas de destinataire. Non seulement ils ne s'adressent à personne, mais  ils ne veulent, au contraire, être vus de personne. On se cache pour pleurer. 


…… Je cherche le silence, et la nuit pour pleurer [31].


dit Chimène, et, avec elle, tous ceux qui, comme elle, ont de très bonnes raisons de pleurer.

…… Mais, revenons à Junie. Si Roland Barthes ne le dit pas explicitement, la douce, la timide Junie n'en fait pas moins partie des personnages de Racine, que l'on peut, selon Roland Barthes, taxer de sadisme. Dans le chapitre intitulé « Techniques d'agression », après avoir évoqué quelques conduites d'agression, il poursuit en ces termes  : « On le voit, il s'agit toujours de frustrations beaucoup plus que de vols (et c'est ici que l'on pourrait parler de sadisme racinien)  : À donne pour reprendre, voilà sa technique essentielle d'agression  : il cherche à infliger à B le supplice d'une jouissance (ou d'un espoir) interrompue. Agrippine cache à Claude mourant les pleurs de son fils, Junie échappe à Néron au moment où il croit la tenir, Hermione se réjouit de cacher Andromaque à Pyrrhus, Néron impose à Junie de glacer Britannicus, etc. [32]».

…… De ces quatre exemples, seul celui de Néron, le seul personnage de Racine que l'on puisse effectivement taxer de sadisme, est probant. Les autres ne le sont aucunement. Mais je laisserai de côté les exemples d'Agrippine et d'Hermione, que j'ai discutés longuement dans ma thèse, pour m'en tenir à celui de Junie de loin le plus étonnant. N'est-il pas tout à fait ahurissant que Roland Barthes ose mettre sur le même plan le comportement de Néron qui « impose à Junie de glacer Britannicus » et celui de Junie qui « échappe à Néron au moment même où il croit la tenir » ? On est tellement estomaqué qu'il puisse considérer la fuite de Junie chez les Vestales comme une « technique d'agression sadique », qu'on se dit qu'on a dû mal comprendre. Mais la suite du texte ne laisse plus de place au doute : « La nature agressive du suicide apparaît pleinement dans le substitut que Junie lui donne  : en devenant vestale, Junie meurt à Néron, mais à Néron seulement  : elle accomplit une mort parfaitement sélective, qui ne va chercher et frustrer que le tyran  [>33]».

…… Tout d'abord comment ne pas s'étonner d'apprendre qu' « en devenant vestale, Junie, meurt à Néron, mais à Néron seulement » ? En entrant chez les Vestales, Junie, comme une religieuse qui entre au couvent, meurt au monde, et pas seulement à Néron. Mais surtout, si l'on doit considérer que Junie commet un acte d'agression sadique en échappant à Narcisse qui veut s'emparer d'elle, alors d'innombrables conduites relèveront du sadisme. En relèveront tous les actes de légitime défense qu'elle soit active ou seulement passive. En relèveront non seulement la riposte, la contre-attaque, mais aussi la fuite, l'esquive ou la simple tentative de fuite ou d'esquive. On fera preuve de sadisme non seulement lorsqu'on s'armera d'un gourdin ou d'un fusil de chasse pour mettre en fuite un malfaiteur qui voudra s'introduire chez nous, mais aussi lorsqu'on se jettera au sol pour échapper à une fusillade, lorsqu'on fera un saut de côté pour éviter une voiture prête à nous écraser, lorsqu'on détournera la tête pour éviter de recevoir un coup de poing en pleine figure. Certes, si toute personne qui cause une douleur ou une déception à autrui peut pour cela être taxée de sadisme, alors celle qui essaie d'échapper à un sadisme et à plus forte raison celle qui y réussit, et plus encore celle qui n'y réussit qu'au tout dernier moment alors qu'elle avait perdu tout espoir, cette personne assurément mérite d'être considérée comme sadique. En effet, tout sadique qui se respecte est très douloureusement affecté de voir sa victime lui échapper et le supporte très mal. Et il le supporte d'autant plus mal que son degré de sadisme est plus grand. Mais le sadisme de sa victime n'en est que plus grand, et il devient alors très difficile de savoir qui, de lui ou de sa victime, fait preuve du plus grand sadisme.

…… Pour raisonner ainsi, il faut pourtant oublier qu'il n'y a d'acte sadique que celui qui répond à une intention sadique, c'est à dire à l'intention de faire souffrir pour le seul plaisir de faire souffrir. Or la victime qui essaie d'échapper à un sadique pense d'abord à elle et ne songe pas à s'interroger sur les états d'âme de son agresseur. Pour en revenir à Junie, tout le monde avait cru, avant Roland Barthes, qu'en se réfugiant chez les Vestales, elle avait seulement voulu échapper à Néron. Personne ne s'était jamais douté que cette fuite éperdue était aussi et surtout un acte d'agression sadique à l'égard de Néron, et que Junie, tout en courant de toutes ses jambes pour essayer d'échapper à Narcisse, pensait à la déception que Néron éprouverait, si elle réussissait, et s'en délectait à l'avance. Quel être extraordinaire que Roland Barthes et comme il sait, mieux que personne, se mettre à la place des autres ! S'il se représente une jeune fille poursuivie par un sadique, qui court haletante et qui, malgré tous ses efforts, l'entend se rapprocher de plus en plus jusqu'à sentir son souffle sur sa nuque, Roland Barthes se dit alors qu'en imaginant, l'immense déception que ressentira celui qui la poursuit, si elle parvient à lui échapper in extremis, elle ne doit pas manquer d'éprouver une jouissance particulièrement intense, une jouissance qu'elle ne retrouvera sans doute jamais plus, mais tempérée, il est vrai, par la crainte d'être prise, en pensant à la mine piteuse et déconfite que risque de faire bientôt ce sinistre individu, d'une crise de fou rire qui pourrait bien lui couper les jambes et la priver de sa cruelle vengeance.

…… Dans la Leçon inaugurale de son cours au Collège de France, Roland Barthes s'est félicité d'avoir accédé à une fonction qui ne comportait aucun « pouvoir » [34]. Assurément, lorsqu'on voit qu'il ose mettre sur le même plan le stratagème si odieux de Néron et la fuite si légitime de Junie chez les Vestales, comment ne pas se dire qu'en effet cela valait beaucoup mieux ? Comment ne pas se réjouir que Roland Barthes ait fait carrière dans les lettres plutôt que dans la magistrature ? On frémit à la pensée qu'il aurait pu devenir juge d'instruction, procureur, voire président de cour d'assises. Toutes les femmes qui se seraient défendues contre un violeur et auraient réussi à finit par lui échapper, auraient été condamnées pour « agression sadique », et cela d'autant plus sévèrement qu'elles auraient eu plus de mal à se débarrasser de leur assaillant et n'y seraient parvenues que tout à fait in extremis, tandis que leurs agresseurs auraient eu droit, eux, à de substantiels dommages et intérêts.

…… Roland Barthes ne semble pas avoir beaucoup lu René Girard qu'il ne cite que rarement et au milieu d'autres noms de critiques [35]. Il y a pourtant dans les Fragments d'un discours amoureux un texte qui semble typiquement girardien. Intitulé « Montrez-moi qui désirer », il est, comme tous les autres fragments, précédé d'un petit chapeau qui en résume l'idée essentielle : « L'être aimé est désiré parce qu'un autre ou d'autres ont montré au sujet qu'il est désirable : tout spécial qu'il soit, le désir amoureux se découvre par induction ». La première phrase est du pur René Girard : c'est une parfaite définition du « désir mimétique ».  Roland Barthes est assurément un homme de son temps. Il a donné dans tous les panneaux de son époque ; le marxisme ; la psychanalyse, le structuralisme. Il ne pouvait pas, au moins une fois ; ne pas donner dans le girardisme. 

…… Mais poursuivons notre lecture : « Peu avant de tomber amoureux, Werther rencontre un jeune valet qui lui raconte sa passion pour une veuve : "L'image de cette fidélité, de cette tendresse, me poursuit partout, et, comme brûlé moi-même de ce feu, je me languis, je me consume." Après quoi il ne reste plus à Werther qu'à tomber amoureux, à son tour, de Charlotte. Et Charlotte elle-même lui sera désignée avant qu'il la voie ; dans la voiture qui les emmène au bal, une amie obligeante lui dit combien Lotte est belle. Le corps qui va être aimé est, à l'avance, cerné, manié par l'objectif, soumis à une sorte d'effet zoom, qui le rapproche, le grossit et amène le sujet à y coller le nez : n'est-il pas l'objet scintillant qu'une main habile fait miroiter devant moi et va m'hypnotiser, me capturer ? Cette "contagion affective", cette induction, part des autres, du langage, des livres, des amis ; aucun amour n'est originel. (La culture de masse est machine à montrer le désir : voici qui doit vous intéresser, dit-elle, comme si elle devinait que les hommes sont incapables de trouver tout seuls qui désirer.)  [36]».

…… Je ne vais pas me livrer ici à une critique en règle de la théorie mimétique : je l'ai fait dans mon livre, René Girard un allumé qui se prend pour un phare [37]. Je me contenterai de quelques remarques. Un homme peut, il est vrai, tomber amoureux d'une femme dont il a auparavant entendu vanter la beauté et dont il sait que d'autres sont amoureux. Mais, avant de la rencontrer effectivement, il est seulement curieux, voire impatient de la de la voir : il n'est pas encore amoureux. Et quand il la découvrira, il n'en deviendra pas nécessairement amoureux. Peut-être sera-t-il, au contraire, très déçu. La même chose peut se produire à chaque fois que quelqu'un nous chante les louanges d'une personne dont il s'est entiché, ou de quoi que ce qui ait pu le séduire. Quand un ami nous dit avoir lu un livre qui l'a particulièrement intéressé, il nous donne naturellement envie de le découvrir. Mais ce livre peut nous décevoir et nous paraitre très ennuyeux, voire inepte.

…… Pour appuyer son propos, Roland Barthes cite en note la maxime 136 de La Rochefoucauld : « Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour ». Dans mon livre sur René Girard, je me suis étonné qu'il n'ait pas cité cette maxime et j'en ai conclu qu'il ne devait pas la connaître. S'il l'avait connue, en effet, il n'aurait pas manqué de lui faire un sort, persuadé que La Rochefoucauld avait eu un instant le pressentiment de la grande découverte que lui-même devait faire trois siècles plus tard. Mais il aurait eu tort, comme Roland Barthes a eu tort d'invoquer cette maxime. Je l'ai commentée dans mes Études sur les Maximes de La Rochefoucauld [38], et je ne vais pas en refaire ici toute l'analyse. Je ferai seulement remarquer que la formule restrictive « Il y a des gens qui » indique clairement que La Rochefoucauld, qui emploie volontiers des formules généralisantes comme « le plus souvent » ou « la plupart des hommes », considère qu'il s'agit là d'une exception, pour ne pas dire d'une anomalie. On peut même penser, et c'est le point de vue que j'ai défendu dans mon analyse, que, pour lui, les « gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour » ne sont véritablement amoureux. Ils veulent seulement le faire croire à autres et se le faire croire à eux-mêmes.

…… Mais surtout Roland Barthes est particulièrement mal placé pour affirmer que « les hommes sont incapables de trouver tout seuls qui désirer ». Pour s'intéresser à un garçon, Roland Barthes n'a nul besoin que l'on attire son attention sur lui et que l'on vante ses charmes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les deux textes posthumes, Incidents [39] et Soirées de Paris [40]. On y découvre un Roland Barthes qui ressemble fort à M. de Charlus : dès qu'un garçon entre dans son champ visuel, il est aussitôt repéré et jaugé. « Rien n'échappait au maître quant au physique des biquets  [41]», nous dit Hervé Algalarrondo. Une silhouette à peine entrevue suffit à l'émoustiller. Il n'attend jamais qu'on lui montre qui désirer.

…… En affirmant que « les hommes sont incapables de trouver tout seuls qui désirer », Roland Barthes ne va pas seulement à l'encontre de son expérience personnelle laquelle est pourtant d'une exceptionnelle richesse. Il est aussi en total désaccord avec ses propres écrits. Cette affirmation est ainsi en contradiction avec ce qu'il écrit un peu plus loin sur le coup de foudre dans le fragment intitulé « Le ravissement ». Le caractère immédiat, instantané du coup de foudre plaide apparemment pour son caractère spontané et autonome. Roland Barthes, il est vrai, affirme que le coup de foudre, si inattendu qu'il puisse paraître, est, en réalité précédé d'une période de latence dans laquelle le sujet est sans le savoir en quête de l'être à aimer : « L'épisode hypnotique, dit-on, est ordinairement précédé d'un état crépusculaire : le sujet est en quelque sorte vide, disponible, offert sans le savoir au rapt qui va le surprendre […] La vacance que j'accomplis en moi (et dont, tel Werther, innocemment je m'enorgueillis) n'est rien d'autre que ce temps, plus ou moins long, où je cherche des yeux, autour de moi, sans en avoir l'air qui aimer. Certes, à l'amour, il faut un déclencheur comme au rapt animal ; le leurre est occasionnel, mais la structure est profonde, régulière comme est saisonnière la pariade. Cependant le mythe du "coup de foudre" est si fort (cela me tombe dessus, sans que j' m'y attende, sans que je le veuille, sans que j'y aie la moindre part), qu'on est stupéfait si l'on entend quelqu'un décider de tomber amoureux : tel Amadour voyant Floride à la cours du vice roi de catalogne : "Après l'avoir longtemps regardée, se délibéra de l'aimer". Quoi, vais-je délibérer si je dois devenir fou (l'amour serait cette folie que je veux) ?  [42]».

…… On le voit, Roland Barthes ne se souvient manifestement plus du tout d'avoir affirmé un peu plus haut que « les hommes sont incapables de trouver tout seuls qui désirer ». Car, si l'on comprend bien ce qu'il nous dit maintenant, c'est le sujet lui-même qui cherche qui aimer, sans rien demander à personne. C'est lui et lui seul qui décide qui il va « se délibérer »  d'aimer.

…… D'autres textes de Roland Barthes indiquent clairement que, pour lui, le choix de l'être aimé, est un choix individuel, purement personnel, profondément enraciné dans la nature propre de chaque sujet. Ainsi, dans le fragment « J'aime, je n'aime pas » du Roland Barthes par Roland Barthes, dresse-t-il une liste, bien sûr partielle, de ses goûts et de ses dégoûts personnels pour en tirer la conclusion suivante : « J'aime, je n'aime pas  : cela n'a aucune importance pour personne ; cela, apparemment, n'a pas de sens. Et pourtant tout cela veut dire : mon corps n'est pas le même que le vôtre. Ainsi dans cette écume anarchique des goûts et des dégoûts, sorte de hachurage distrait, se dessine peu à peu la figure d'une énigme corporelle, appelant complicité ou irritation. Ici commence l'intimidation du corps, qui oblige l'autre à me supporter libéralement, à rester silencieux et courtois devant des refus ou des jouissances qu'il ne partage pas  [43]». On ne saurait mieux souligner la singularité des appétences et des aversions de chacun d'entre nous. C'est moi qui aime et moi qui n'aime pas. L'autre n'a qu'à s'incliner devant mes goûts et de dégoûts, comme moi devant les siens.  

…… Mais venons-en à la plus importante, à la plus fondamentale peut-être des découvertes relatives à la nature humaine que Roland Barthes a faites. C'est, et l'on ne s'en étonnera pas, à Freud qui lui a permis de la faire. Tout le monde a toujours pensé, semble-t-il, que l'on pouvait distinguer plusieurs périodes dans la vie humaine, les différents âges de la vie  [44]. Hé bien ! tout le monde s'est trompé. Il faut reconnaître à Roland Barthes l'art de remettre en question toutes les certitudes qui semblaient les mieux établies : « Infans, puer, adulescens, juvenis, senior, senex  : toute société divise le temps du sujet humain ; elle crée des âges, les classe, les nomme et incorpore cette structure à son fonctionnement par la voie de rites initiatiques de servitudes militaires ou de dispositions légales  [45]». Ainsi la distinction entre les différents âges de la vie ne correspond pas à une réalité ; ce n'est pas une donnée naturelle : c'est la société qui la « crée ».

…… La distinction des différents âges de la vie n'est fondée que sur une convention sociale : « Qui veut les âges ? Les sociétés archaïques, les sociétés militaires, les sociétés concurrentielles, bref toute société forte, dès lors qu'elle s'attribue le droit de représenter les intérêts de l'espèce. L'intérêt de l'espèce est de clarifier, de coder le flux des générations, dans l'espoir de le maîtriser et de lui assurer un meilleur rendement ("Attends— pour me remplacer" ou "pousse-toi de là que je m'y mette", c'est ce que dit scientifiquement le classement des âges)  [46]».

…… C'est la psychanalyse qui, selon Roland Barthes, a eu l'audace de remettre une cause une distinction ancestrale qui semblait ne devoir jamais être contestée : « La psychanalyse a au moins ce courage. Seule de toutes les sciences contemporaines, elle ne tient aucun discours sur les âges de l'homme : pour elle l'homme est sans âge : il n'a que l'âge de sa sexualité, mais cette sexualité n'est pas évolutive : elle passe son temps à revenir : originée [sic] dans la nuit la plus lointaine du nourrisson, elle est toujours là au moment de la mort, car l'homme transfère toujours (aime toujours) du premier au dernier souffle  [47]».

…… Ainsi, s'il faut en croire Roland Barthes, l'homme n'a pas d'âge parce qu'il a l'âge de sa sexualité et que celle-ci n'a pas d'âge. Selon lui la sexualité n'évolue pas : elle reste toujours la même de la naissance jusqu'à la mort. Mais Freud lui-même n'a jamais osé énoncer une contrevérité aussi patente. S'il a, en effet, prétendu que la vie sexuelle commençait quasiment dès la naissance [48], je ne sache pas qu'il ait jamais affirmé qu'elle restait toujours la même depuis la naissance jusqu'à la mort. Grâce aux confidences de ses patients, il était bien placé pour savoir qu'elle pouvait connaître des pannes et, avec les années, finir par cesser définitivement. Dans le premier chapitre de la Psychopathologie de la vie quotidienne, il évoque les mœurs des Turcs qui « attachent une valeur exceptionnelle  à la vie sexuelle » et dont l'un a dit un jour à son médecin « Quand cela na va plus, la vie n'a plus aucune valeur  [49]».

…… Comment pourrait-on en douter ? Il y a un commencement de la sexualité, un développement, une diminution et une fin. Quoi que Freud ait pu dire, aucun nourrisson n'a jamais eu et n'aura jamais la moindre vie sexuelle. Les bébés n'ont pas de libido, même lorsqu'ils s'appellent Dominique Strauss Kahn. Dans la clinique où il est né, l'annonce de sa venue avait, comme on peut bien le penser, semé la panique parmi les sages femmes et tout le personnel féminin de l'établissement. Or ces craintes se sont révélées tout à fait vaines. Il s'est comporté exactement comme les autres bébés, même si certains ont cru remarquer que ses premiers cris avaient été particulièrement vigoureux. Quoi que Freud ait pu dire, la sexualité ne commence véritablement qu'à la puberté, moment où la voix des garçons mue et les seins des filles se développent, mais Roland Barthes ne l'a sans doute pas remarqué. Quant à la vieillesse, sans parler de tous ceux qui, comme c'est mon cas, doivent revoir des traitements antihormonaux, elle s'accompagne toujours, avec de grandes différences suivant les individus, d'un ralentissement et, pour les plus vieux, d'une complète cessation de la vie sexuelle. L'homme n'a pas l'âge de sa sexualité : il a la sexualité de son âge.

…… Ce qui est vrai de la sexualité, l'est aussi de toutes les formes de l'activité humaine. Toutes les facultés humaines connaissent la même évolution : elles progressent, elles atteignent leur apogée, puis elles déclinent. Évidemment, quand on dit cela, on ne peut espérer impressionner personne. Pour ce faire, mieux vaut soutenir que c'est une illusion ou un préjugé ; mieux vaut mettre en cause le conformisme social et accuser la doxa. Ce sont eux qui nous font croire qu'il y a des âges de la vie. Mais les grands intellectuels de notre temps ne se laissent plus abuser par les fausses évidences que voudrait nous imposer la société.  On le sait depuis Simone de Beauvoir, c'est la société qui crée les femmes : « On ne naît pas femme : on le devient ». Grâce à Roland Barthes il n'en faut plus douter, c'est la société qui crée les bébés : « on ne naît pas bébé : on le devient ».

 

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NOTES  :


[1] Sur Racine, O.C., tome II, p. 75.

[2] La Thébaïde, acte I, scène 1, vers 19-20

[3] Citons Thierry Maulnier :
…… Nous voici donc, hélas, à ce jour détestable

…… Ainsi s'ouvre la Thébaïde ; ainsi l'œuvre de Racine. Ce vers est l'un des premiers de la première tragédie, et il nous dit à lui seul toutes les tragédies futures et leur sauvagerie, et la mort qui y règne en souveraine. La première scène que songe à écrire le jeune Racine est celle où une mère incestueuse attend le résultat d'un duel à mort entre ces deux fils, nés de l'inceste. Les premiers mots du jeune Racine portent la crise tragique à son paroxysme, le drame à sa température la plus ardente, les héros à leur dernier jour. Le monde dont, avec une brutalité extraordinaire, il nous ouvre tout grand le seuil, il ne nous le laissera plus quitter. Toutes ses tragédies sont celles d'un jour détestable, de la dernière et abominable échéance, du règlement de comptes ; toutes ses tragédies sont celle de l'irrémédiable. Car il importe à la crise tragique que le malheur n'y soit pas capricieux et gratuit, mais préparé et nécessaire, et que le jour de Racine ne soit pas un jour de hasard terrible, mais un jour de terrible accomplissement » (Racine, Gallimard, 1947,  pp. 238-239).

[4] Lettres d'Uzès, texte établi, présenté et annoté par Jean Dubu, Lacour, 1991, p. 32.

[5] Citons seulement Chateaubriand :
…… « Les Indiens, pour peindre la tristesse et la beauté de Céluta, disaient qu'elle avait le regard de la Nuit et le sourire de l'Aurore » (Les Natchez, première partie livre I, le livre de poche, 1989, p. 74)  ;

…… « Au village même du Simplon, j'ai vu le premier sourire d'une heureuse aurore. » (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, livre XXX, chapitre 2, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1951, tome II, p. 226)  ;

et Victor Hugo :  
…… N'ayant pu la sauver, il a voulu mourir.
…… Sois béni, toi qui, jeune, à l'âge où vient s'offrir
…… L'espérance joyeuse encore,
…… Pouvant rester, survivre, épuiser tes printemps,
…… Ayant devant les yeux l'azur de tes vingt ans
…… Et le sourire de l'aurore.
…… (« Charles Vacquerie », Les Contemplations, bibliothèque de la Pléiade, Œuvres poétiques, tome II, Gallimard, 1967, p. 664.)

[6] Verlaine : La Bonne Chanson, IV, Œuvres poétiques, classiques Garnier, 1995, p. 119

[7] Giraudoux : Tessa, Théâtre complet, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1982, p. 381.

[8] Mchelet, Œuvres complètes, tome I, pp. 525-526.

[9] La préparation du roman, Cours au Collège de France 1978-79 et 1979-80, éditions du Seuil, 2015, p. 438.

[10] O.C., tome II, p. 808.

[11] Ibid., p. 747.

[12] Ibid, p. 752.

[13] O.C., tome V, p. 550.

[14] Op. cit., p. 24.

[15] Op. cit., pp. 108-109.

[16] Acte IV, scène 1, vers 122-124

[17] Racine, Théâtre, Poésie, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1964, p. 1067, note 2 de la page 148.

[18] Acte IV, scène 1, vers 935-938.

[19] Acte IV, scène 3, vers 1074.

[20] Essais, livre I, « De l'amitié », édition de Pierre Villey, revue par V.- L. Saulnier P.U.F., 1965, p. 188

[21] Acte IV, scène 1, vers 914.

[22] Ibid., vers 927-930.

[23] Racine, Théâtre. Poésies, bibliothèque de la Pléiade, édition de Raymond Picard. Gallimard, 1950, p. 1067, note 3 de la page 148.

[24] Situation de la critique racinienne, éditions de l'Arche, 1971, p. 50

[25] Op. cit., p. 155.

[26] Esther, acte I, scène 2, vers 424-435.

[27] Op. cit., pp. 155-156.

[28] Ibid., p. 69

[29] Britannicus, acte II, scène 2, vers 402.

[30] O.C., tome V, p. 224.

[31] Le Cid, acte III, scène 4, vers 1010.

[32] Op. cit., p 81.

[33] Ibid., p. 83.

[34] O.C., tome V, p. 450.

[35] Voir O.C., tome II, pp. 248, 496 et 798

[36] Ibid., pp. 175-176.

[37] Kimé, 2010.

[38] Eurédit, 2000.

[39] O.C., tome V, pp. 955-976.

[40] îbid., pp. 977-995.

[41] Les derniers jours de Roland B., Stock 2006, p. 193. « Biquets » est le terme qu'utilisait Roland Barthes pour parler des garçons.

[42] Op., cit., p. 235.

[43] O.C., tome IV, p. 692.

[44] Le nombre varie de trois (la jeunesse, l'âge adulte, la vieillesse) à dix suivant les auteurs. Shakespeare, dans la célèbre et si belle tirade qu'il met dans la bouche de Jaques dans As you like it (acte II, scène 7, vers 139-166) en compte sept, chiffre alors généralement admis depuis saint Augustin sous prétexte que Dieu avait créé le monde en sept jours. 

[45] « Puer senilis, senex puerilis », extraits inédits du cours sur « Le discours amoureux », Œuvres complètes, tome V, p. 481.

[46] Ibidem.

[47] Ibid., pp. 481-482.

[48] Voir notamment le deuxième des Trois essais sur la théorie sexuelle, « La sexualité infantile », folio essais, Gallimard, 1987, pp. 93 sq.

[49] Petite bibliothèque Payot, 2001, p. 10.

 

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