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…………………………Avant-propos



Ce nouveau recueil d'explications de textes s'ajoute à une série déjà assez longue. Car, outre mes deux premiers volumes d'Explications littéraires, on trouve aussi des explications de textes dans mes Études sur « Le Tartuffe » comme dans mes Études sur « Britannicus », et mes Études sur les « Maximes » de La Rochefoucauld, comme mes Études sur « La Princesse de Clèves », sont tout entières constituées d'explications de textes. Mais, en dehors de ces livres qui comportent des explications en forme, on trouve continuellement, dans mes autres travaux, des ébauches ou des fragments d'explications de textes [1]. M'étant attaché, en effet, à dénoncer les contresens et les élucubrations de la « nouvelle critique » et, à l'occasion, les interprétations erronées de critiques adeptes des méthodes traditionnelles de l'histoire littéraire, il m'a fallu continuellement faire appel à de petites explications de textes. Pour démontrer qu'un critique fait dire à un texte non pas ce que l'auteur a voulu dire, mais ce que lui-même veut à tout prix lui faire dire, il n'est pas d'autre moyen, en effet, que de rétablir le vrai sens du texte, et par conséquent, d'en faire l'explication au moins partiellement. C'est ce que j'ai fait notamment tout au long de ma thèse de doctorat d'Etat, Le « Sur Racine » de Roland Barthes.

J'ai déjà dit dans les Avant-propos de mes deux précédents volumes d'Explication littéraires tout le prix que j'attachais à l'explication de textes traditionnelle et déploré qu'elle ait été pratiquement abandonnée dans l'enseignement secondaire au profit du commentaire composé ou de la lecture dite " méthodique ". Je n'y reviendrai donc aujourd'hui que très rapidement et pour répondre à un propos de MM. Alain Viala et Michel P. Schmidt qui m'a véritablement révolté. Non contents de considérer l'explication de textes traditionnelle comme tout à fait surannée, ils jugent même qu'elle est foncièrement nuisible et qu'elle l'est d'autant plus qu'elle est plus précise et plus exhaustive, car, disent-ils, "en montrant la richesse d'un texte, paradoxalement, on renforce l'image de l'écrivain de génie, en paralysant la faculté d'écriture ou de réécriture d'élèves qui maîtrisent mal les idées et plus encore les outils linguistiques [2] ". Un tel propos ne témoigne pas seulement d'une démagogie révoltante, démagogie qui a valu à M. Viala d'avoir longtemps l'oreille des ministres de l'Education nationale et de leurs conseillers [3] : il est d'une monstrueuse sottise. « L'image de l'écrivain de génie » n'a jamais paralysé personne. De tout temps, au contraire, c'est le contact avec les grandes œuvres qui a fait naître les vocations d'écrivains, comme celles de peintres ou de musiciens. Si l'on raisonnait comme MM. Viala et Schmidt, il faudrait exclure Bach, Mozart ou Beethoven des écoles de musique et des conservatoires, et interdire aux étudiants en peinture d'aller dans les musées recopier les chefs-d'œuvre du passé.

MM. Viala et Schmidt considèrent qu'il est néfaste de faire sentir la richesse des grandes œuvres aux élèves qui « maîtrisent mal les idées et plus encore les outils linguistiques ». Mais, s'il fallait attendre que les élèves maîtrisent vraiment les idées pour leur faire étudier les grandes œuvres, la grande majorité d'entre eux quitteraient le lycée avant d'avoir jamais pu les aborder. Contrairement à ce que prétendent les tenants des sciences de l'éducation qui s'emploient à essayer de bannir la littérature de l'enseignement secondaire, il ne faut pas craindre de faire étudier aux élèves des textes qui, pour une part, leur passent nécessairement au-dessus de la tête, comme d'ailleurs ils passent aussi au dessus de la tête de pas mal d'adultes, voire de certains professeurs. Comme le dit Alain, « nous sommes tous soumis à cette condition de recevoir d'abord sans comprendre » et il ajoute : « C'est pourquoi je suis bien loin de croire que l'enfant doive comprendre tout ce qu'il lit et qu'il récite. Prenez donc La Fontaine, oui, plutôt que Florian; prenez Corneille, Racine, Vigny, Hugo. Mais cela est trop fort pour l'enfant ? Parbleu, je l'espère bien. Il sera pris par l'harmonie d'abord. Ecouter en soi-même les belles choses, comme une musique, c'est la première méditation. Semez de vraies graines et non du sable […] Comment apprend-on une langue ? Par les grands auteurs, non autrement. Par les phrases les plus serrées, les plus riches, les plus profondes, et non par les niaiseries d'un manuel de conversation [4]».

Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet et je renvoie le lecteur à mon article « La pédagogie contre l'enseignement [5]». Il y aurait beaucoup de choses à dire aussi sur les prétendus « outils linguistiques » que, selon MM Schmidt et Viala, les élèves devraient maîtriser avant de pouvoir aborder sans complexes les grandes œuvres littéraires. Les outils auxquels pensent M. Schmidt et Viala sont bien sûr ceux de la sémiotique et de la stylistique d'avant-garde, notamment celle de Georges Molinié avec qui M. Viala a commis un ouvrage [6]. Il est assez plaisant de constater que, pour essayer de retarder l'étude de la littérature dans l'enseignement secondaire, voire de la supprimer, MM. Schmidt et Viala invoquent la prétendue nécessité de maîtriser les outils linguistiques qui, selon eux, sont censés la faciliter. Et ce qui rend la chose encore plus plaisante, c'est qu'en réalité ces outils ne servent strictement à rien. Certes ! il n'est pas inutile, quand on explique un texte littéraire, de faire appel à minimum de vocabulaire technique et c'est même quasiment indispensable quand il s'agit de poésie. Mais le vocabulaire vraiment utile est banalisé depuis longtemps. En revanche, l'innommable jargon qu'utilise Georges Molinié et ses pareils ne sert qu'à faire compliqué quand on peut faire simple, qu'à faire long quand on peut faire court, quand il ne sert pas à masquer que l'on n'a en réalité rien à dire sur un texte sinon des platitudes, et parfois qu'on ne l'a pas compris [7]. M. Viala, il est vrai, jargonne beaucoup moins que Georges Molinié, mais il raffole des schémas actantiels, chers à Madame Anne Ubersfeld [8], comme on peut le constater en consultant les éditions qu'il a données d'un certain nombre de tragédies de Racine dans les Petits Classiques Larousse ou le Livre de Poche. On constatera en même temps que ces schémas n'éclairent absolument rien et n'empêchent pas les analyses de M. Viala de rester tout à fait simplistes. Non seulement les nouveaux outils linguistiques ne permettent aucunement d'aller plus loin dans l'intelligence des textes littéraires, mais ceux qui les utilisent s'en servent, en réalité, pour se dispenser d'avoir à entrer véritablement dans le texte, se contentant de multiplier les remarques ponctuelles purement formelles et évitant de s'interroger sur le sens même et la portée du texte. C'est ainsi qu'on voit proliférer tant de « tâcherons incapables de dépecer un texte à force de prendre de la distance avec sa chair » pour reprendre l'heureuse formule qu'emploie Chloé Delaume lorsqu'elle évoque ses études à l'Université de Nanterre [9].

Quoi que puissent dire MM Viala et Schmidt, l'explication de textes ne saurait jamais être trop riche ni trop précise. Ce qui est nuisible, ce n'est pas de montrer toute la richesse d'un texte; c'est, au contraire, de donner l'impression, en se contentant de commentaires sommaires, trop souvent proches de la paraphrase, que le texte littéraire n'a pas plus de valeur que l'article de journal le plus banal et ne nécessite pas d'être lu avec plus d'attention. Certes ! la plupart des élèves ne retiennent que peu de choses d'une explication très riche. Mais il importe assez peu qu'au bout de quelque temps, ils n'en aient plus de souvenir bien précis; ce qui importe, c'est qu'ils aient pris conscience de la richesse et de la complexité des grandes œuvres. C'est cette richesse et cette complexité que je me suis une fois de plus attaché à mettre en valeur dans ce nouveau recueil d'Explications littéraires.


 

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NOTES :

[1] C'est le cas notamment des deux petits articles publiés dans la Revue d'Histoire littéraire de la France que j'ai mis dans ce volume, à la suite des explications proprement dites. Le premier porte sur une page célèbre de Candide, le début du chapitre 3, et le second sur la scène 11 de l'acte III du Malade imaginaire.

[2] Op. cit., p. 205.

[3] M. Viala a longtemps présidé le groupe d'experts de lettres du Ministère chargé d'établir les programmes. S'il a su se faire bien voir du ministère, il s'est attiré, en revanche, l'inimitié et le mépris des professeurs du secondaire attachés à l'enseignement enseignement de la littérature comme on peut le consatter sur le site de l'association « sauver les lettres » (http://sauv.net/).

[4] Propos sur l'Education, pp. 14-15.

[5] Voir Sanglades, Eurédit, 2006, pp. 87-108.

[6] Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, P.U.F., 1993.

[7] C'est ce que j'ai montré dans un long article, « Nouvelle stylistique ou nouvelle imposture » (Sanglades, pp. 15-56)

[8] Elle est l'auteur d'un ouvrage en trois volumes, Lire le théâtre, Belin 1996, particulièrement inepte et néanmoins recommandé comme une lecture indispensable dans presque toutes les bibliographies destinées aux étudiants. Voir sur ce livre mon article encore inédit intitulé « Le théâtre expliqué par la mère Ubu » (Sanglades, pp. 57-85).

[9] Je ne saurais trop recommander, sur ce sujet, la lecture de l'excellent article de Michel Leroux « La destruction programmée de l'enseignement des lettres »( Commentaire, numéro 102, été 2003, pp. 325-331).

 

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