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…………………………Un peu de décence, Messieurs les croyants !





Les croyants disent volontiers qu'ils se sentent personnellement insultés lorsque l'on critique leurs croyances et à plus forte raison lorsqu'on les tourne en dérision. Aussi, et on l'a vu tout récemment encore avec l'affaire des caricatures de Mahomet, beaucoup d'entre eux, les musulmans surtout, voudraient nous imposer 'le respect universel des religions'. Certes il est naturel que les croyants ne se soient pas très heureux et qu'ils se sentent plus ou moins blessés dans leur amour-propre, lorsqu'on leur dit qu'ils croient à des stupidités ridicules. Certes l'incroyant qui leur dit cela n'entend pas rendre ainsi hommage à leur intelligence. Certes devant l'absurdité des croyances religieuses, la première réaction de l'incroyant est nécessairement de se poser des questions sur le quotient intellectuel des croyants. Mais il ne pense pas pour autant que tous les croyants sont nécessairement des imbéciles, ni non plus d'ailleurs que tous les incroyants sont nécessairement intelligents. Il est tout à fait conscient, au contraire, que beaucoup de croyants n'en sont pas moins intelligents, qu'un certain nombre d'entre eux sont même fort intelligents ; il sait que de très grands savants, de très grands esprits ont été de grands croyants et que certains le sont encore.

Paradoxalement la première chose qui empêche l'incroyant de penser que l'absurdité de ses croyances est nécessairement la preuve de la stupidité du croyant, c'est le degré même de cette absurdité. Paradoxalement c'est le sentiment aigu qu'a l'incroyant de l'absurdité des croyances religieuse qui l'amène bien vite à se dire qu'elles ne peuvent s'expliquer que très partiellement par un manque d'intelligence. Cette absurdité est tellement énorme, tellement monumentale, tellement monstrueuse que, quelle que puisse être la stupidité d'un individu, elle ne saurait suffire à expliquer qu'il puisse ajouter foi à des imbécillités aussi phénoménales. Logiquement les croyants devraient tous être d'absolus abrutis, des crétins invétérés, de parfaits demeurés, des débiles profonds. Les croyances auxquelles ils s'accrochent en dépit des toutes les objections aussi innombrables qu'insurmontables que n'ont cessé d'accumuler et ne cessent de continuer à accumuler contre elles, la logique, les découvertes scientifiques, le progrès des connaissances historiques, l'étude même des textes prétendument sacrés qui en constituent, selon eux, le fondement, ces croyances sont un tel tissu de stupidités ridicules, d'absurdités inénarrables et d'âneries anachroniques qu'ils devraient tous être totalement incapables d'aucune activité intellectuelle, incapables de pouvoir seulement commencer à apprendre à lire et à écrire, incapables même de pouvoir apprendre à parler. Or ce n'est évidemment pas le cas.

Certes, quand il s'agit de croire la sottise est toujours un atout et le gâtisme ne gâte rien. Certes, la stupidité, l'ignorance, la paresse intellectuelle, le conformisme, le manque d'esprit critique et de sens logique ont toujours fait bon ménage avec les religions. Celles-ci d'ailleurs l'ont toujours su, même si elles ne l'ont pas toujours reconnu aussi naïvement que ce prédicateur qui, pour inciter les fidèles à donner généreusement pour l'œuvre des missions, ne craignait pas de leur dire qu'il fallait 'se hâter d'évangéliser les populations primitives pendant qu'elles étaient encore primitives'.

Mais d'autres raisons, bien sûr, entrent en ligne de compte, et ce sont ces raisons qui expliquent que l'on puisse être à la fois croyant et intelligent, voire supérieurement intelligent. Je suis, quant à moi, parfaitement conscient que le quotient intellectuel d'un Pascal devait être très supérieur au mien. Pourtant ce même Pascal non seulement croit dur comme fer à l'extraordinaire longévité des patriarches d'avant le Déluge, mais il est persuadé que cette longévité a été voulue par Dieu afin qu'il n'y eût entre Adam et Moïse qu'un nombre assez restreint de générations, de sorte que ce dernier, en qui Pascal voit le premier historien, disposât de renseignements tout à fait fiables sur les débuts de l'humanité et qu'ainsi aucun homme de bonne foi ne pût douter de la véracité des récits de la Création et du Déluge. On aurait, par conséquent, de très bonnes raisons de s'interroger sur l'intelligence, voire sur la santé mentale de Pascal en lisant certains fragments des Pensées, si ses travaux scientifiques et tant d'autres textes admirables n'étaient là pour nous prouver qu'il n'en était pas moins un très grand savant et un esprit tout à fait supérieur. Ce n'est donc pas par déficience intellectuelle qu'il ne met pas un instant en doute des fables dont, plus que tout autre, le grand scientifique qu'il était aurait dû percevoir le caractère anachronique.

La véritable explication doit être cherchée ailleurs, et elle n'est pas difficile à trouver. En effet, sans s'en rendre compte, Pascal ne cesse de nous dire dans les Pensées pourquoi il se raccroche désespérément aux prétendues 'vérités' chrétiennes. Il reproche aux homme de s'adonner au 'divertissement'parce qu'ils sont incapables de regarder en face 'notre condition faible mortelle et si misérable que rien ne nous peut consoler lorsque nous y pensons de près' (édition Sellier, classiques Garnier, fragment 168. p. 216). Mais c'est lui d'abord qui refuse de regarder notre condition en face, c'est lui qui ne veut pas admettre que nous ne sortons du néant que pour y retourner sans avoir jamais pu seulement entrevoir pourquoi nous en sommes sortis quelque temps.

Et sans doute, cela n'est-il pas facile à admettre et l'incroyant en est bien conscient. D'ailleurs beaucoup d'incroyants, du moins parmi ceux de ma génération, ont reçu une éducation religieuse, et il n'a pas toujours été aisé pour eux d'abandonner la foi de leur enfance. Personnellement cela m'a pris beaucoup de temps. J'ai, il est vrai, l'esprit assez lent, mais si je suis allé à la messe jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, c'est aussi et peut-être surtout parce que je sentais bien, parce que je savais bien que, lorsque j'aurais définitivement renoncé aux explications qu'on m'avait données dans mon enfance, je n'en trouverais jamais d'autres pour les remplacer.

L'incroyant sait donc fort bien, le plus souvent, qu'au-delà de la simple paresse intellectuelle et du conformisme social qui les poussent à ne pas remettre en question les 'vérités' qu'on leur a inculquées dans leur enfance, les croyants sont généralement mus par des mobiles que l'incroyant peut fort bien comprendre, notamment le désir d'avoir des réponses à des questions auxquelles l'incroyant aimerait bien lui aussi pouvoir répondre. le désir de retrouver dans un autre monde les êtres qu'on a aimés et d'y goûter des joies qu'on aurait aimé pouvoir goûter dans celui-ci.

C'est pourquoi les incroyants, pour la plupart, ont toujours su distinguer entre les personnes des croyants, qu'ils respectent, et leurs croyances, qu'ils ne peuvent que juger très sévèrement. Ils reconnaissent que les croyants ont souvent de grandes qualités humaines et même de grandes qualités intellectuelles, en dépit de l'absurdité de leurs croyances. Et ils y ont d'autant plus de mérite que les croyants, eux, sont souvent bien peu portés à leur rendre la pareille et à faire une semblable distinction entre les personnes des incroyants et leurs opinions philosophiques.

Bien au contraire, les trois grandes religions monothéistes ont presque toujours mis en cause les personnes mêmes des incroyants, en prétendant que leur incrédulité s'expliquait essentiellement, sur le plan intellectuel, par la sottise ou à tout le moins par la paresse et la légèreté, et, sur le plan moral, par un orgueil immodéré qui leur faisait rejeter toute autorité, ainsi que par un profonde dépravation et le désir de s'adonner sans contrainte à tous leurs instincts et à toutes leurs passions. Aux yeux de la grande majorité des dévots, les incroyants ont toujours été à la fois des 'insensés' et 'des méchants', des'sots' et des 'pervers'. La Bible et plus encore le Coran abondent en injures envers les incroyants. Le psalmiste traite les athées d' 'insensés' : 'L'insensé a dit en son cœur : Plus de Dieu !' (Psaumes 14 et 52, verset 1). Il interpelle les 'impies' en ces termes  : 'Prenez garde, stupides entre tous ! Insensés, quand aurez-vous l'intelligence ?' (Psaume 94, verset 8). Mahomet répète à satiété que seuls ceux qui sont 'doués d'intelligence', seuls ceux qui 'réfléchissent', sont capables de reconnaître et de comprendre les 'signes' qu'Allah a envoyés à son prophète (27, 35 ; 38, 28 ; 39, 12 ; 41, 2 ; 45, 4). Ceux qui refusent de le faire sont des 'sots'(2, 12), des 'orgueilleux' (16, 3 ; 38, 1 ; 74, 23) et des 'pervers' (2, 93 ; 98, 5).

Quant aux auteurs chrétiens qu'ils soient religieux ou laïques, ils ont déversé sur les incrédules de tels tombereaux d'expressions méprisantes et d'insultes qu'il serait impossible de pouvoir les recenser toutes. Quiconque commencerait à s'atteler à cette tâche aurait très rapidement de quoi faire un très gros livre. Certains ouvrages d'apologétique sont, en effet, à eux seuls de véritables catalogues d'injures à l'égard des impies et des libertins, comme celui, célèbre au dix-septième siècle, du Père Garasse (La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels, Paris, 1623) qui fait notamment appel à tous les noms d'animaux, à quelques exceptions près comme, bien sûr, l'agneau, symbole du Christ ou la colombe, symbole du Saint Esprit. Un Bossuet, lui, n'a certes pas recours aux mêmes injures, mais son mépris, sa détestation des libertins n'en éclatent pas moins. Il affirme que ce sont des ignorants qui refusent de s'instruire : 'Quelle ignorance est la leur ! et qu'il serait aisé de les confondre, si, faibles et présomptueux, ils ne craignaient d'être instruits !' (Oraison funèbre d'Anne de Gonzague, édition Garnier, p. 272). Il assure qu' 'on ne peut combattre la religion sans montrer par de prodigieux égarements, qu'on a le sens renversé' (Discours sur l'histoire universelle, édition de la Pléiade, p. 945) et qu' 'il manque un sens aux incrédules comme à l'aveugle' (Oraison funèbre d'Anne de Gonzague, p. 275) Mais plus encore que l'ignorance et l'irréflexion, ce qui, pour Bossuet, définit les libertins, c'est le désir de s'abandonner sans retenue à leurs passions : 'Ne me dites rien des libertins; je les connais : tous les jours je les entends discourir, et je ne remarque dans tous leurs discours qu'une fausse capacité, une curiosité vague et superficielle, ou, pour parler plus franchement, une vanité toute pure; et pour fond des passions indomptables, qui, de peur d'être réprimées par une trop grande autorité, attaquent l'autorité de la loi de Dieu, que par une erreur naturelle à l'esprit humain, ils croient avoir renversée à force de le désirer'. (Sermon pour le jour de Pâques, Œuvres oratoires, édition Urbain-Lévesque, tome VI, pp. 66-67). Quant à ceux qui se disent proprement athées, Bossuet les tient pour de véritables 'monstres' (Sermon sur le jugement dernier, tome IV, p. 636 et Sermon sur l'Endurcissement, tome V, p. 551).

Si Pascal, qui a des amis libertins, se montre un peu plus compréhensif à leur égard, il n'en pense pas moins, comme Bossuet, que ce sont des esprits superficiels, futiles qui ne veulent pas se donner la peine de s'informer sérieusement et de réfléchir vraiment : 'Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils ont employé quelques heures à la lecture de quelque livre de l'Ecriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes' (Pensées, fragment 681, p. 475). Il est persuadé qu'ils n'ont à opposer à la religion que des arguments simplistes et ridicules  : 'Faites-leur rendre compte de leurs sentiments et des raisons qu'ils ont de douter de la religion : ils vous diront des choses si faibles et si basses qu'ils vous persuaderont du contraire' (ibidem, p. 479).

La Bruyère, lui aussi, pense que les incroyants sont ignorants et inaptes à toute réflexion véritable : 'L'ignorance qui est leur caractère, les rend incapables des principes les plus clairs et des raisonnements les mieux suivis' (Les Caractères, 'Des Esprits forts', 36). Et il est, en outre, convaincu que les athées sont tous des êtres immoraux et dépravés : 'Je voudrais voir un homme sobre, modéré, chaste, équitable, prononcer qu'il n'y a point de Dieu : il parlerait du moins sans intérêt ; mais cet homme ne se trouve point' (ibidem, 11).

Lamennais lui-même, le défenseur du 'catholicisme libéral', qui rejette beaucoup des dogmes chrétiens, à commencer par le péché originel, et dont les Paroles d'un croyant ont été condamnées par le pape, n'en écrit pas moins ceci : 'Il se rencontre des hommes qui n'aiment point Dieu, et qui ne le craignent point  : fuyez-les, car il sort d'eux une odeur de malédiction. Fuyez l'impie, car son haleine tue […] La parole qui nie Dieu brûle les lèvres sur lesquelles elle passe, et la bouche qui s'ouvre pour blasphémer est un soupirail de l'enfer' (Paroles d'un croyant, Pocket, Agora, p. 57). Pour clore et couronner ce bref très échantillon des propos méprisants, injurieux, voire haineux que les croyants ont tenus pendant tant de siècles à l'égard des incroyants, je ne saurais sans doute mieux faire que de citer ces lignes de Paul Claudel implorant Dieu en ces termes : 'Ne me perdez pas avec les Voltaire, et les Renan, et les Michelet, et les Hugo, et tous les autres infâmes ! Leur âme est avec les chiens morts, leurs livres sont joints au fumier. Ils sont morts, et leur nom même après leur mort est un poison et une pourriture' (Cinq grandes Odes, Magnificat, in Œuvre poétique, édition de la Pléiade, p. 261).

Sans doute, depuis un certain nombre d'années et notamment depuis Vatican II, le langage des chrétiens à l'égard des incroyants a-t-il beaucoup évolué. Sans doute aujourd'hui plus aucun chrétien ne s'exprimerait-il encore comme le père Garasse ou comme Claudel. Sans doute, mis à part peut-être certains intégristes, ont-ils cessé de prétendre qu'on ne pouvait être incroyant sans être profondément amoral. Toujours est-il que les autorités vaticanes continuent à faire de sérieuses réserves sur l'intelligence des incroyants. Dans le 'Guide de lecture' annexé à l'édition française du Catéchisme de l'Eglise catholique, on peut lire en effet ceci : 'Le refus de Dieu que professe l'athéisme et le refus de se prononcer à son sujet (agnosticisme) même s'ils s'expliquent par divers motifs, n'en traduisent pas moins un réel déficit dans l'exercice de l'intelligence' (Edition Pocket, p. 888). Et lors de l'audience générale du 14 avril 1999 intitulée 'Témoigner de Dieu le Père : la réponse chrétienne à l'athéisme' donnée au Vatican, Jean-Paul II n'a pas craint de reprendre pour qualifier les athées le terme même dont se servait le Psalmiste : 'La Bible nous aide à comprendre que ceux qui veulent nier Dieu sont des insensés'.

J'avoue ne guère savoir en quels termes les juifs religieux d'aujourd'hui parlent des incroyants. Mais je n'ai pas entendu dire qu'ils avaient renoncé à la fâcheuse habitude de commencer leur journée en remerciant Dieu de ne pas les avoir créés non-juifs. Il est vrai que certains juifs, un peu plus libéraux, préfèrent avoir recours à une formulation positive en remerciant Dieu, non plus de ne pas les avoir créés non-juifs, mais de les avoir créés juifs. Cela pourtant ne change pas rien, car cela revient toujours à dire que les juifs sont supérieurs aux non-juifs, et donc à commencer sa journée en affichant son mépris pour les autres croyants et, a fortiori, pour les incroyants, considérés comme des sous-hommes. Mais c'est, bien sûr, chez les musulmans que l'on rencontre aujourd'hui le plus de mépris, voire de haine pour les incroyants. Et comment pourrait-il en être autrement puisque ce mépris et cette haine sont exprimés d'une manière obsessionnelle tout au long du Coran ? J'ai assez souvent voyagé dans des pays musulmans, et j'ai entendu plusieurs fois des guides locaux qui, pour montrer leur largeur d'esprit et s'attirer la sympathie des touristes, déclaraient qu'ils sympathisaient volontiers avec des non musulmans, chrétiens ou juifs. Mais ils ajoutaient aussitôt qu'il en allait tout autrement avec ceux qui n'avaient pas de religion : ceux-là, ils ne voulaient pas les connaître, ils ne voulaient avoir aucune relation avec eux, ils refusaient de les regarder comme des êtres humains.

Au total, c'est l'incroyant beaucoup plus que le croyant, qui serait fondé à se plaindre d'être l'objet du mépris et de la haine de ceux qui ne pensent pas comme lui. Et il n'est pas étonnant qu'il en soit ainsi. Car, si, comme je l'ai dit, l'incroyant peut comprendre assez facilement les raisons du croyant, ou du moins certaines d'entre elles, qui sont sans doute les plus importantes, il n'en est pas de même pour le croyant qui a, au contraire, généralement beaucoup de peine à admettre les véritables raisons de l'incroyant et est facilement porté à lui en prêter d'autres. Car les vraies raisons de l'incroyant ne sont autres que l'invraisemblance, l'extravagance, l'absurdité et l'évidente fausseté des croyances religieuses. Pour le croyant, commencer seulement à comprendre les raisons de l'incroyant, c'est donc déjà commencer à douter. Pour pouvoir les comprendre vraiment et pleinement, il faudrait qu'il cessât tout à fait de croire. Les croyants ne commencent à respecter les incroyants que quand ils commencent à ne plus croire vraiment, que quand ils commencent à se dire tout au fond d'eux-mêmes que les incroyants pourraient bien avoir raison. Si mes amis croyants supportent assez bien mes sarcasmes, c'est parce qu'ils ne peuvent s'empêcher de se demander s'ils ne sont pas fondés, même s'ils font quelques difficultés pour l'avouer. En revanche, je suis obligé de m'exprimer moins vivement devant leurs épouses, qui, restées plus profondément croyantes, acceptent plus mal mes plaisanteries.

L'incroyant peut, au contraire, comprendre très facilement les raisons du croyant sans pour autant se sentir le moins du monde porté à le rejoindre. Il peut très bien comprendre qu'on puisse souhaiter avoir des réponses à des questions qu'on ne peut pas ne pas se poser, sans pour autant être le moins du monde tenté de se rallier à celles que lui proposent les religions ou les sectes. Car, si fort que puisse être son envie d'avoir des réponses, il ne saurait considérer comme telles des absurdités manifestes. À Pascal qui ne craint pas de nous dire que 'sans ce mystère incompréhensible [le péché originel] nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes' (fragment 434, p. 213), Ernest Havet répond fort justement  : 'Un fait incompréhensible est encore un fait, mais une explication incompréhensible n'est plus du tout une explication' (édition des Pensées, 2e édit., tome I, p. 124). L'incroyant est trop conscient de l'impossibilité absolue de trouver la clef de l'énigme pour pouvoir seulement envisager d'adopter quelque solution qu'on puisse lui proposer, quand bien même elle ne serait pas aussi évidemment dénuée de tout fondement que celles auxquelles les croyants se raccrochent. Lorsque les témoins de Jéhovah ou des membres d'une autre secte viennent sonner à ma porte pour m'expliquer qu'ils ont la vérité et pour me proposer de m'en faire part, je leur réponds que, si un jour quelqu'un l'avait vraiment trouvée, la nouvelle se serait répandue comme un feu de paille, elle aurait fait le tour du monde et ils ne seraient pas en train de faire du porte à porte pour annoncer une vérité qu'ils ne connaissent pas plus que ceux à qui ils s'adressent.

Les incroyants ne demanderaient pas mieux que quelqu'un vînt leur apporter de vraies réponses à leurs interrogations. Et c'est pourquoi quand les croyants leur disent qu'ils connaissent, eux, la solution, alors qu'ils n'ont à leur proposer qu'un grotesque assortiment de sornettes, qu'un fatras de fables et fariboles aussi rocambolesques qu'anachroniques, ils peuvent, eux aussi, se sentir offensés, comme le serait un mendiant à qui on donnerait un bouton de culotte ou un homme affamé à qui on offrirait du fromage en plâtre et du pain en bois. Ils peuvent, eux aussi, être profondément irrités par des croyances et des pratiques qui, au-delà de ceux qui y adhèrent et qui s'y livrent, tendent à jeter le ridicule sur notre espèce tout entière. Pourtant, si les croyants ne peuvent pas se passer de croire qu'il y a une réponse et qu'ils la connaissent, s'ils sont obligés, pour avaler les couleuvres que leurs religions respectives leur font ingurgiter, de se livrer à tous sortes de contorsions et de gesticulations, les incroyants, quelles que puisse être leur déception et leur irritation, ne songent aucunement à faire quoi que ce soit pour essayer de s'y opposer. Que les croyants bêlent ! qu'ils glapissent ! qu'ils hululent à qui mieux mieux ! qu'ils se dandinent ! qu'ils se trémoussent ! qu'ils entrent en transes ! qu'ils s'agenouillent ! qu'ils se prosternent en levant le derrière en l'air ! qu'ils se livrent à toutes les grimaces, à toutes les simagrées, à toutes les pitreries qu'ils voudront ! personne ne songe à les en empêcher ! Tout ce que les incroyants demandent, en échange, c'est qu'on leur permette de ricaner à loisir, c'est qu'on les laisse rire tout leur soûl. Cela les soulage : c'est un exutoire dont ils ne sauraient se passer. Ils en ont besoin, ils en ont grand besoin, ils en ont autant besoin que Nicole lorsque, découvrant M. Jourdain habillé en grand seigneur, elle est prise d'un fou rire inextinguible et lui dit entre deux quintes : 'Je crèverai… si je ne ris'.

Rien ne saurait excuser et encore moins justifier les croyants, lorsqu'il prétendent contester le droit des incroyants à s'exprimer avec une entière liberté, et une chose, au moins, devrait les empêcher non seulement de le faire, mais même de l'envisager un seul instant : la conscience de tous les abus, de toutes les violations des droits del'homme, de tous les crimes, de tous les massacres qui ont été commis pendant tant de siècles au nom de leur dieu et qui, dans le cas de l'Islam sont encore commis tous les jours. La seule pensée de tous les hérétiques et de tous les incroyants que l'église a fait brûler après leur avoir coupé la langue, pour les empêcher de s'exprimer une dernière fois, devrait lui interdire absolument, non pas de répondre, ou du moins d'essayer de le faire, à certaines critiques ou à certaines plaisanteries des incroyants, ce que ceux-ci admettent très volontiers, mais de prétendre qu'ils n'avaient pas le droit de les faire.

Si certains hommes, si beaucoup d'hommes, si la majorité des hommes ont besoin de croire à des fables pour supporter notre condition, hé bien qu'ils y croient ! S'ils ont besoin de proclamer leur foi, hé bien, qu'ils la proclament, pourvu bien sûr qu'ils respectent les principes de la laïcité, même dans les pays où ils ne sont pas encore officiellement reconnus ! S'ils ont besoin non seulement de penser que les incroyants sont des imbéciles, mais de le dire, hé bien qu'ils le disent ! Si cela peut les soulager de traiter les incroyants de tous les noms, hé bien qu'ils le fassent ! Mais qu'ils ne prétendent pas exiger que les incroyants respectent leurs croyances, qu'ils n'essaient pas de les obliger à se censurer eux-mêmes et à restreindre, si peu que ce soit, leur liberté de jugement et d'expression ! S'il vous plaît, Messieurs les croyants, s'ils vous plaît, un peu de décence !

 

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